English · 00:24:51 Sep 17, 2025 11:07 AM
Yanis Varoufakis welcomes us to the age of Technofeudalism | FULL INTERVIEW
RÉSUMÉ
Yanis Varoufakis, économiste grec et ancien ministre des Finances, explique dans une interview avec Eshe Nelson du New York Times comment les banques centrales ont accéléré la fin du capitalisme au profit d'un technoféodalisme dominé par les géants technologiques, transformant les profits en rentes et les marchés en algorithmes addictifs.
DÉCLARATIONS
- Le capitalisme, successeur du féodalisme, a transféré le pouvoir des propriétaires terriens aux détenteurs de machines et de moyens de production, canalisant l'activité économique via les marchés où le profit remplace la rente foncière.
- Depuis la crise de 2008, les banques centrales ont imprimé environ 35 000 milliards de dollars via l'assouplissement quantitatif, tout en imposant une austérité fiscale sévère, créant une liquidité massive sans investissement productif.
- Les entreprises traditionnelles ont utilisé cette liquidité pour racheter leurs actions, provoquant une inflation des actifs et une déflation des prix, tandis que l'unique investissement significatif s'est porté sur le "capital cloud" des géants technologiques.
- Les profits capitalistes se transforment en rentes cloud, où Amazon prélève 20 à 40 % des prix pour accéder aux consommateurs, similaire à la rente foncière féodale.
- Les algorithmes comme Alexa ou Siri ne sont pas des moyens de production classiques, mais des outils de modification comportementale, entraînant les utilisateurs à consommer sans passer par les marchés traditionnels.
- Les géants technologiques comme Meta versent moins de 1 % de leurs revenus en salaires, extrayant l'énergie économique du flux circulatoire et forçant les banques centrales à continuer d'imprimer de l'argent.
- Cette extraction de rentes cloud dégrade la qualité des emplois, favorisant un travail précaire chez Uber ou Amazon, rendant l'économie plus vulnérable aux crises.
- Les banques centrales, piégées par leur mandat, ont inondé le secteur financier de liquidité sans pouvoir la diriger vers des investissements publics productifs, favorisant involontairement les big tech.
- L'inflation actuelle résulte d'une boucle vicieuse : les rentes cloud sapent la demande agrégée, obligeant les banques centrales à hésiter dans leur resserrement monétaire malgré les perturbations des chaînes d'approvisionnement.
- Pour contrer l'inflation sans récession, les banques centrales devraient hausser rapidement les taux d'intérêt tout en imprimant de l'argent pour financer des investissements verts via des banques publiques.
IDÉES
- Le triomphe apparent du capital sur le travail masque en réalité la fin du capitalisme, remplacé par un système où les marchés sont supplantés par des algorithmes contrôlés par une poignée de seigneurs cloud.
- L'assouplissement quantitatif post-2008 n'a pas sauvé l'économie réelle mais a financé un capitalisme algorithmique addictif, transformant les consommateurs en serfs numériques dépendants de recommandations personnalisées.
- Contrairement aux machines industrielles, les algorithmes d'IA comme ceux d'Amazon ne produisent pas des biens mais modifient les comportements, court-circuitant les marchés pour livrer directement à la porte.
- Les rentes cloud extraites par les big tech, comme les 10 milliards de Jeff Bezos, s'évaporent hors de l'économie circulante, aggravant l'austérité et forçant une impression monétaire perpétuelle.
- Les emplois précaires dans l'écosystème technoféodal, tels que les livreurs Uber, empêchent les travailleurs de planifier des achats futurs, rendant l'économie instable et crise-prone.
- Les banques centrales, limitées par leur charte, ont créé un cercle vicieux : leur liquidité excessive a boosté les big tech, dont le pouvoir de marché rend impossible un resserrement monétaire efficace contre l'inflation.
- L'addiction aux appareils n'est pas morale mais structurelle : les algorithmes sont conçus pour maximiser les rentes en rendant les utilisateurs psychiquement dépendants, surtout les jeunes.
- Le lien entre bas taux d'intérêt et essor tech n'est pas causal direct mais résulte d'une liquidité piégée dans les actifs financiers, seule canalisée vers le cloud par les innovateurs technologiques.
- Taxer les rentes cloud plutôt que les profits permettrait de redistribuer l'énergie économique vers des besoins sociétaux, comme la transition verte, sans moraliser l'usage des technologies.
- Le technoféodalisme évoque le Moyen Âge non par nostalgie mais par analogie : les seigneurs cloud contrôlent l'accès aux "vassaux" via des fiefs numériques, hors des dynamiques marchandes classiques.
PERSPECTIVES
- Le passage du profit à la rente cloud révèle une économie où l'innovation technologique ne stimule plus la croissance inclusive mais concentre la richesse, sapant la demande agrégée et perpétuant les crises.
- Les algorithmes addictifs transforment les utilisateurs en données monétisables, érodant l'autonomie individuelle et rendant les sociétés plus vulnérables à la manipulation comportementale à grande échelle.
- Les banques centrales, en sauvant le système financier post-2008, ont involontairement accéléré un féodalisme numérique où le pouvoir économique échappe aux États, rendant la politique monétaire impuissante face à l'inflation structurelle.
- L'extraction massive de rentes par les big tech dégrade non seulement les salaires mais altère la qualité de vie, favorisant un précariat qui mine la stabilité sociale et environnementale.
- Pour contrer le technoféodalisme, une fiscalité ciblée sur les rentes numériques pourrait rediriger les flux vers des investissements publics verts, brisant le cercle vicieux de l'austérité et de la dépendance algorithmique.
- L'addiction aux technologies n'est pas un vice personnel mais un mécanisme systémique conçu pour extraire de la valeur, soulignant la nécessité d'une régulation qui préserve l'utilité sans sacrifier la liberté.
CITATIONS
- "Ça sonne absurde d'entendre quelqu'un comme moi dire que le capitalisme est fini parce que partout vous voyez un triomphe du capital sur le travail, sur la politique, un triomphe capitaliste en gros."
- "Les algorithmes comme Alexa ou Siri ne sont pas des moyens de production classiques, mais des moyens de modification comportementale qui n'ont jamais existé dans l'histoire du capitalisme."
- "Quand Jeff Bezos gagne 10 milliards supplémentaires via les pratiques d'Amazon, il n'a absolument aucune raison d'investir dans l'économie dont participent vos voisins."
- "Meta verse moins de 1 % de ses revenus à ses employés, extrayant ainsi l'argent du flux circulatoire économique."
- "Je ne moralise pas ; je dis que les banques centrales ont fait ce qu'elles pouvaient dans les contraintes imposées."
HABITUDES
- Utiliser des plateformes comme Spotify pour revisiter des souvenirs d'enfance via la musique, intégrant la technologie dans le plaisir quotidien sans culpabilité.
- Suivre les recommandations algorithmiques pour des livres ou produits, reconnaissant leur utilité tout en analysant leur rôle dans la modification comportementale.
- Éviter de moraliser l'addiction aux machines, en admettant sa propre dépendance pour la recherche, l'étude et la joie personnelle.
- Privilégier l'analyse factuelle des dynamiques économiques plutôt que les jugements moraux sur les usages technologiques.
- Promouvoir une utilisation proactive des outils numériques pour l'apprentissage et l'amélioration continue, sans rejeter la technologie au profit d'un retour à des méthodes primitives.
FAITS
- Les banques centrales ont imprimé environ 35 000 milliards de dollars via l'assouplissement quantitatif depuis 2009, principalement au bénéfice du secteur financier.
- Les grandes entreprises traditionnelles dépensent environ 85 % de leurs revenus en salaires, contre moins de 1 % pour Meta, drainant l'énergie économique du circuit.
- Amazon prélève entre 20 et 40 % des prix des produits vendus sur sa plateforme, sous forme de rentes cloud équivalentes à une taxe d'accès aux consommateurs.
- L'investissement significatif post-2008 s'est concentré sur le capital cloud, incluant les fermes de serveurs et les infrastructures algorithmiques aux États-Unis et en Chine.
- Les taux d'intérêt bas résultent d'une liquidité excédentaire face à une faible demande d'investissement, due à l'austérité et au manque de consommation des ménages.
RÉFÉRENCES
- Livre de Yanis Varoufakis : Technofeudalism: What Killed Capitalism.
- Crise financière de 2008 et coordination G20 sous Gordon Brown à Londres en avril 2009.
- Série télévisée Mad Men et le personnage Don Draper, illustrant l'évolution de la publicité vers les algorithmes.
- Adam Smith et son ouvrage La Richesse des nations (1770s), comparé à la transition du féodalisme au capitalisme.
- Institutions : Banque centrale européenne (BCE), Réserve fédérale (Fed), Banque d'Angleterre, Banque européenne d'investissement (BEI).
- Événements : COP28 et invasion de l'Ukraine par Poutine, soulignant les besoins en investissements verts.
COMMENT APPLIQUER
- Hausssez rapidement les taux d'intérêt des banques centrales, par exemple de 0 % à 3,5 % en un mois, pour contrer l'inflation sans causer de récession immédiate.
- Continuez l'impression monétaire mais redirigez-la vers des obligations de banques d'investissement publiques, comme la BEI, pour financer un programme annuel de 500 milliards d'euros en transition verte.
- Imposez une taxe numérique sur les rentes cloud des big tech, en ciblant les prélèvements comme ceux d'Amazon, pour redistribuer les fonds vers la demande agrégée et les investissements sociétaux.
- Créez des banques d'investissement publiques pour canaliser la liquidité vers des projets durables, évitant le piège des achats d'obligations d'entreprises non productives.
- Évitez le resserrement quantitatif inverse en maintenant l'impression monétaire tout en augmentant les taux, pour préserver la liquidité nécessaire à la croissance inclusive face aux perturbations comme la pandémie.
SYNTHÈSE EN UNE PHRASE
Le technoféodalisme succède au capitalisme via les rentes cloud des big tech, forçant les banques centrales à un dilemme inflationniste insoluble sans régulation audacieuse.
RECOMMANDATIONS
- Adoptez une hausse immédiate et forte des taux d'intérêt pour juguler l'inflation, couplée à une impression monétaire ciblée sur des investissements verts publics.
- Introduisez une taxe cloud globale sur les rentes numériques des géants tech pour réinjecter l'énergie économique dans la demande agrégée et les salaires.
- Développez des banques d'investissement publiques, comme une version renforcée de la BEI, pour diriger la liquidité vers des projets climatiques essentiels.
- Évitez le moralisme anti-technologie ; intégrez les algorithmes dans une régulation qui préserve leur utilité tout en limitant leur addiction extractive.
- Poussez les parlements à légiférer pour que les banques centrales achètent des obligations vertes, brisant le monopole financier des big tech sur la liquidité post-crise.
MÉMO
Dans une interview captivante accordée à Eshe Nelson, reporter économique du New York Times basée à Londres, Yanis Varoufakis, économiste grec charismatique et ancien ministre des Finances, dissèque l'effondrement discret du capitalisme. Depuis Athènes, où il est en décalage horaire, Varoufakis argue que nous sommes entrés dans l'ère du technoféodalisme, un système où les marchés cèdent la place à des algorithmes dominés par des seigneurs cloud comme Jeff Bezos ou Mark Zuckerberg. "Ça sonne absurde", admet-il, face au triomphe apparent du capital sur le travail et la politique. Pourtant, la crise de 2008 marque le tournant : les banques centrales, en panique, impriment 35 000 milliards de dollars via l'assouplissement quantitatif, tout en imposant une austérité fiscale draconienne. Cette liquidité inonde le secteur financier sans stimuler l'investissement réel, sauf dans le "capital cloud" – serveurs, fibres optiques et IA – aux États-Unis et en Chine.
Varoufakis déconstruit le cœur de ce basculement : les profits capitalistes mutent en rentes cloud, où Amazon siphonne 20 à 40 % des ventes pour un simple accès aux consommateurs. "C'est l'équivalent moderne de la rente foncière féodale", explique-t-il, soulignant comment ces rentes extraient l'énergie économique du flux circulatoire. Chez Meta, moins de 1 % des revenus va aux salaires, contre 85 % dans les firmes traditionnelles comme General Motors. Cette léthargie force les banques centrales à imprimer sans relâche, même face à l'inflation actuelle. Les algorithmes, tels Alexa ou Siri, ne produisent pas des biens mais modifient les comportements, entraînant les utilisateurs dans un cycle addictif. "Nous entraînons Alexa pour qu'elle nous entraîne", note Varoufakis, qui assume sa propre dépendance à ces outils pour la recherche et le plaisir, comme écouter des chansons d'enfance sur Spotify.
L'impact sur la vie quotidienne est insidieux. Les emplois précaires – livreurs Uber, manutentionnaires Amazon – dégradent la qualité du travail, empêchant les plans d'avenir comme l'achat d'une maison. L'économie devient "plus prone aux crises", avertit-il, avec une déflation des prix et une inflation des actifs. Les banques centrales, piégées par leur mandat, ont boosté ce monstre involontairement : leur liquidité, refusée aux ménages austéritaires, a fini chez les big tech, créant un cercle vicieux. "Il n'y a pas de complot, juste une incongruité", précise Varoufakis, rejetant les théories conspirationnistes pour une analyse factuelle. L'inflation post-pandémie, exacerbée par les disruptions des chaînes d'approvisionnement, illustre ce dilemme : les banquiers veulent resserrer, mais les rentes cloud sapent la demande, rendant tout resserrement risqué.
Pour inverser la tendance, Varoufakis, homme d'idées et d'action, propose des remèdes concrets. Haussons les taux d'intérêt à 3,5 % en un mois pour freiner l'inflation, mais continuons l'impression monétaire via des banques publiques comme la BEI pour un demi-trillion annuel en investissements verts – une idée pré-Poutine et pré-COP28. Introduisons une taxe cloud sur les rentes numériques, impossible à esquiver par les astuces comptables d'Amazon. "C'est un cop-out majeur si on ne pense pas au financement", critique-t-il les gouvernements fiscalement stressés. Sans cela, le technoféodalisme s'aggrave, transformant les consommateurs en serfs numériques. Varoufakis refuse le moralisme : "Je ne dirai pas 'naughty boy' aux addicts des machines ; je suis accro moi-même." Au lieu de rejeter la technologie, comme abandonner les machines au XVIIIe siècle face à Adam Smith, il appelle à une régulation qui redirige l'innovation vers le bien commun.
Cette vision n'est pas dystopique mais un appel à l'action. En reliant 2008 à l'inflation d'aujourd'hui, Varoufakis met en lumière comment les choix des banques centrales ont pavé la voie à un féodalisme 2.0. Pour le voisin lambda, cela signifie des emplois instables et une crise perpétuelle. "Votre voisin devrait s'en soucier", conclut-il. L'interview, diffusée par l'Institute of Art and Ideas, invite à repenser l'économie non comme un triomphe capitaliste, mais comme une mutation féodale où les algorithmes règnent. Une réflexion urgente alors que les COP masquent le greenwashing sans fonds réels.
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